12 Sep Le bonus pension implémenté
Nous vous en parlions déjà il y a quelques mois : le bonus pension fait son grand retour. Celui-ci sera comptabilisé dès le 1er juillet 2024 pour les travailleurs qui partiront à la pension à partir du 1er janvier 2025.
Progressif, celui-ci pourra être constitué sur trois années maximum :
- 3.775 euros pour la première année supplémentaire travaillée au-delà de la date de la pension anticipée ;
- 7.550 euros pour la seconde année supplémentaire ;
- 11.325 euros pour la troisième année successive, soit un montant total de 22.650 euros sur trois ans.
Mais attention, il faudra justifier d’une période de travail d’au moins six mois après la date légale de la pension anticipée. Notons enfin que si le bonus sera payé par défaut sous la forme d’un versement unique, les personnes concernées pourront demander à ce qu’il soit versé sous la forme d’une rente mensuelle.
Les personnes ayant accumulé une carrière de 43 ou 44 ans avant d’avoir droit à la pension anticipée – ce qui est souvent le cas dans les métiers pénibles – auront quant à elles accès au montant de 11.325 euros par an, et ce dès la première année de bonus. En d’autres termes, au bout de trois années, ces personnes auront donc droit à un bonus de 33.975 euros nets. Joli pactole, mais cela sera-t-il suffisant pour inciter les travailleurs et travailleuses belges à prester une plus longue carrière ?
Si l’on en juge par l’efficacité du précédent bonus pension, bien que sa mise en œuvre ait été différente, le doute est permis. Pour rappel, ce système mettait en place un bonus de pension forfaitaire de deux euros par jour travaillé en cas de départ à la retraite différé à partir de 62 ans. En 2009 déjà, Gijs Dekkers, économiste au Bureau fédéral du Plan soulignait que bien que ce type de bonus encourageasse “les travailleurs à différer leur départ à la retraite et à demeurer sur le marché du travail”, l’effet désiré “[s’évaporait] partiellement du fait des taxes”. Enfin, il conclut que pour ce modèle, “les effets incitatifs du bonus de pension sont en partie neutralisés par le nombre décroissant d’années de retraite” (ndlr: lesquelles décroissent du fait des années de travail supplémentaire). Un constat largement partagé par Marjan Maes, professeur d’économie à la Hogeschool-Universiteit Brussel, qui conclut en 2010 : “Alors que cette mesure a été adoptée pour améliorer la soutenabilité budgétaire du régime des pensions, elle a pour conséquence de creuser le budget des pensions. La raison principale est qu’un grand nombre de travailleurs vont bénéficier du bonus sans pour autant travailler davantage, et/ou vont partir plus tôt en retraite.” En outre, le bonus pension “n’augmente l’âge de départ à la retraite que de 0,3 année alors que des réformes de type «malus» ont des effets plus marqués”.
Ce qui fut prouvé plus tard : le système fut aboli en 2013, du fait notamment d’incohérences multiples, d’un manque d’information auprès de la population, des effets d’aubaine (certains travailleurs profitant du bonus, alors même qu’ils auraient travaillé de toute façon jusqu’à 65 ans), et de l’émergence d’effets négatifs lorsque ce régime se voyait combiné avec un régime de prépension.
Le nouveau système, quant à lui, n’est pas exempt de problèmes. Fediplus les soulignait il y a quelques mois :
- Le montant du capital proposé a certainement été diminué, étant donné qu’il fallait faire une économie par rapport à la solution initiale d’une rente mensuelle. Il est donc fort probable que le capital soit épuisé aux alentours des 80 ans. Les femmes, qui ont une espérance de vie plus longue, vont être plus touchées.
- Notons également qu’on ne bénéficiera pas des indexations de la rente. En termes concrets, lorsqu’on se trouve en période de forte inflation, le pouvoir d’achat diminue considérablement. Dans ce contexte, l’argent que vous aurez reçu quelques mois ou quelques années plus tôt perdra de sa valeur.
- Il y a un seul avantage, si votre espérance de vie est plus courte et que vous décédez plus tôt, vous pourrez pleinement profiter de votre capital, ou le laisser à vos héritiers.
Et Philippe Defeyt, directeur de l’Institut de Développement Durable, de renchérir : “Si je vis jusqu’à 70 ans, c’est plus intéressant. Je divise la somme en 5 (de 65 à 70 ans) et je les dépense. Mais si je vis jusqu’à 95 ans ? Il y a bien des placements intelligents, mais les banques ne fourniront pas clé sur porte des placements qui assureront des rendements sûrs et indexés avec 20.000 €”. Bien que l’idée d’un capital ne lui semble pas mauvaise, elle peut renforcer certaines inégalités. “Je trouve l’idée d’encourager les gens à aller plus loin plutôt sympathique“, affirme-t-il. “Mais les personnes qui sont en capacité de le faire sont celles qui ont encore des compétences à vendre et qui n’ont pas exercé un métier épuisant. Il y a des différences structurelles.”
Cette énième mesure ne masquera donc pas l’absence d’une vision et d’une réforme globales de notre système de pension sans lesquelles, conclut notre directeur, “mieux vaut ne pas implémenter ce bonus” !