Les chiffres de l'Office national de sécurité sociale ont de quoi donner le sourire au gouvernement : en 2024, plus de 229.000 Belges ont travaillé flexi-job, soit une augmentation de 19,1% par rapport à l'année précédente. Mais derrière cette statistique se cache une réalité plus surprenante encore : ce sont les plus de 65 ans qui ont le plus augmenté, avec une progression vertigineuse de 52,6%.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2024, les pensionnés ont gagné en moyenne 6.425,50 euros avec un flexi-job, contre 2.792,70 euros pour un travailleur non pensionné. Cette équation favorable s'explique par une particularité du système : contrairement aux autres travailleurs plafonnés à 12.000 euros annuels, les retraités jouissent d'une liberté totale. Un avantage qui permet de passer d’un complément de revenu à une véritable stratégie économique.
Si le flexi-job vient bousculer le marché du travail belge, ces changements restent encore largement du fait de la Flandre. Avec 85% des flexi-jobbers originaires du nord du pays, la Flandre semble avoir adopté ce nouveau modèle avec un enthousiasme que n'égalent ni Bruxelles, ni la Wallonie.
Pourtant, les lignes bougent. La Wallonie rattrape son retard à grands pas (+43,9%), tandis que Bruxelles n'est pas en reste (+27,7%). Des progressions qui suggèrent que les deux régions rattraperont bientôt leur retard.
L'extension du système à de nouveaux secteurs en 2024 a agi comme un accélérateur. Transport, logistique, pompes funèbres, auto-écoles, garages, événementiel, agriculture, horticulture, alimentation et même enseignement : autant de nouvelles opportunités pour les flexi-jobbers.
Cette diversification souligne également une réalité économique : dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, le flexi-job devient un outil de flexibilité très intéressant pour les entreprises et une source de revenus complémentaires pour les travailleurs et les seniors.
En règle générale, les femmes dominent le flexi-job (52,3%), mais cette tendance s'inverse chez les plus de 65 ans, où les hommes reprennent l'avantage. Un phénomène qui interroge : s'agit-il d'une différence culturelle générationnelle, ou le reflet d'inégalités de pension qui poussent davantage les hommes âgés à reprendre une activité ?
Les données spécifiques à la Belgique sont particulièrement limitées. Aucune enquête ne s’est, pour l’heure, spécifiquement et profondément intéressée aux motivations des retraités belges flexi-jobbers. Cependant, l’examen des motivations des travailleurs en général peut nous aiguiller.
L'une des enquêtes les plus révélatrices sur les motivations financières a été menée par la caisse d'assurances sociales Xerius. Cette étude démontre que sept travailleurs belges sur dix souhaitent disposer de plus de revenus, et que 35% des personnes interrogées estiment qu'un revenu complémentaire leur est indispensable. Pour 13% d'entre elles, cet argent supplémentaire est même considéré comme "très indispensable". Bien que cette enquête ne se concentre pas spécifiquement sur les retraités, elle met en évidence une tendance générale vers la recherche de revenus complémentaires qui s'applique également aux personnes âgées.
L'analyse du risque de pauvreté chez les retraités belges révèle des défis financiers significatifs qui peuvent expliquer le recours aux flexi-jobs. Selon les données du Comité d'Étude sur le Vieillissement, les pensionnés courent un risque de pauvreté de 13,6%, tandis que les personnes âgées de plus de 65 ans présentent un taux de 15,8%. Ces chiffres sont supérieurs au taux de risque de pauvreté de la population totale, établi à 12,3%. De plus, le taux de remplacement n’est que de 60,90% en Belgique (selon l’OCDE). Cela suggère qu’avec un taux de remplacement faible, les retraités belges pourraient se voir forcés de recourir aux flexi-jobs… si leur santé le leur permet. Les retraités ayant une carrière incomplète ou une faible pension de base sont particulièrement concernés par cette nécessité de compléter leurs revenus.
Au-delà des statistiques, le flexi-job révèle les mutations profondes du monde du travail. Il illustre l'émergence d'une économie où la frontière entre activité et retraite s'estompe, où la flexibilité devient la norme et où les parcours professionnels se prolongent.
Il s’agit certes d’un dispositif qui permet aux personnes âgées de compléter de maigres revenus. Mais il s’agit aussi d’un révélateur des aspirations contemporaines : continuer à être actif, oui, mais selon ses propres désirs. Les retraités restent majoritairement actifs après leur prise de pension. Le tissu associatif belge dépend, pour une très large partie, de ces retraités ! Ce qui pose également la question de savoir si le flexi-job n’entraîne pas une tension en attirant des retraités vers des jobs rémunérateurs. Le flexi-job n'est peut-être que le prélude à une transformation plus large de notre rapport au travail.