L'imposante bâtisse du XVIIIe siècle se dresse fièrement au cœur de Bérat, à vingt minutes de Toulouse. Du haut de ses murs de pierre, deux siècles d’histoire contemplent les nouveaux habitants. Ceux-ci se sont lancés dans une expérience sociale inédite : ils sont quatorze seniors, et ont fait le pari de vivre ensemble plutôt que d'accepter la perspective d'une maison de retraite classique.
Tout a commencé en 2018, au cinéma Utopia. Anne-Marie Faucon, 78 ans aujourd'hui, et son compagnon Michel Malacarnet organisaient un débat après la projection du film "Et si on vivait tous ensemble ?". "Le public était très enthousiaste, se souvient-elle. Les gens partageaient tous la même angoisse : la solitude en maison de retraite. Cette soirée a été le déclencheur, pour beaucoup."
Le couple, fondateur du réseau de cinémas indépendants Utopia, lance alors un appel. Une dizaine de personnes, pour la plupart inconnues les unes des autres, répondent présentes. "On avait tous le même objectif : garder la main sur notre vie, rester actifs et surtout, ne plus jamais se sentir seuls", témoigne Jean-Claude, 75 ans, l'un des premiers à rejoindre l'aventure.
La propriété dénichée dépassait leurs espérances : 300 m², un parc de deux hectares, des dépendances et une vue imprenable sur la campagne avec, à l’horizon, les Pyrénées qui se dessinent. 14 participants et 1,1 million d'euros plus tard, le domaine devient leur via une coopérative. "C'est le statut idéal, explique Michel, 80 ans. Chacun achète des parts et les récupère s'il souhaite partir. Pas de spéculation immobilière, juste un projet de vie partagé."
Les travaux, retardés par la pandémie, s'achèvent en juillet 2021. Le rez-de-chaussée devient un espace de vie commun : une cuisine équipée digne d'un restaurant, une salle à manger pouvant accueillir trente personnes, une bibliothèque fournie. À l'étage, des appartements individuels de 25 à 60 m², tous accessibles par ascenseur.
"Pour être honnête, je craignais de me retrouver dans un cocon coupé du monde, confie Catherine, 68 ans, arrivée il y a deux ans. Mais c'est tout le contraire !" La Ménardière accueille régulièrement des artistes, des vacanciers, organise des projections dans ses anciennes écuries transformées en salle de cinéma, et ouvre ses portes aux 3 000 habitants de Bérat.
Marie, une vacancière venue tester l'expérience, raconte : "J'ai réservé une des chambres d'hôtes pour me faire une idée. L'ambiance est extraordinaire. On ne sent pas le poids des années ici, mais une véritable énergie créative."
La Ménardière n'est pas un cas isolé. Partout en France, des alternatives émergent. À Lille, La maison des Babayagas, fondée par Thérèse Clerc, rassemble depuis 2012 des femmes âgées dans un habitat participatif. À Nantes, le projet L'Archipel permet à des seniors de partager un lieu tout en gardant leur indépendance.
Ces initiatives répondent à un besoin réel. Face au modèle standardisé des Ehpad, les seniors cherchent des solutions plus humaines, qui respectent leur autonomie et leurs aspirations.
Sur le terrain de La Ménardière, des promeneurs flânent et discutent avec les coopérateurs. "On vieillit, c'est inévitable, philosophe Anne-Marie Faucon. Mais on refuse de s'éteindre. Ici, on continue d'inventer, de créer, de partager. Et surtout, on fait la preuve qu'un autre modèle est possible."
À l'heure où le débat sur la prise en charge du grand âge fait rage, La Ménardière apparaît comme un modèle inspirant. Un pari sur l'autonomie et la solidarité qui pourrait bien préfigurer le futur de nos vieux jours.
Pour découvrir La Ménardière : des événements sont organisés tous les samedis pour ceux qui souhaiteraient s'inspirer du projet ou simplement le découvrir. Il est également possible de réserver des chambres.
84 Route de Gratens
31370 - Bérat
France
lamenardiere.berat@gmail.com
+33 6 88 33 53 89
+33 6 72 18 97 48