Le ministre en charge des pensions Jan Jambon a récemment proposé une modification du système de malus appliqué aux pensions anticipées, suscitant de vifs débats au sein du gouvernement et parmi les partenaires sociaux. Cette réforme vise à adapter les pénalités financières pour les personnes choisissant de partir à la retraite avant l’âge légal, en tenant compte de leur année de naissance et de leur carrière effective.
Dans la modification présentée par Jan Jambon, le calcul du malus serait désormais déterminé par l’année de naissance du futur retraité, et non plus leur année de départ. Concrètement :
Ce système s’appliquerait uniquement si le travailleur ne remplit pas la condition de 35 années de carrière comprenant au moins 156 jours de travail effectif par an, soit un total de 7 020 jours sur l’ensemble de la carrière.
La FGTB s’insurge, pointant un malus “socialement injuste”, qui pénaliserait davantage les femmes, plus fortement touchées par le travail à temps partiel.
En effet, selon Statbel, 40,5% des salariées travaillent à temps partiel contre seulement 12,8% des hommes, soit un écart de 27,7 points de pourcentage. Cette segmentation genrée s'est accentuée depuis 1983, où le taux de temps partiel féminin a doublé (passant de 20,5% à 40,5%) tandis que celui des hommes a été multiplié par 6,7 (de 1,9% à 12,8%).
Le rapport indique que les motivations diffèrent fondamentalement selon le genre : 25,8% des femmes invoquent la garde d'enfants comme motif principal de leur temps partiel, contre seulement 5,8% des hommes. Ces derniers privilégient plutôt des "raisons personnelles" (24,1%) ou des contraintes d'emploi (21,0%).
Dans ce contexte, la réforme des pensions portée par le ministre Jambon suscite des inquiétudes quant à son impact sur les trajectoires professionnelles féminines. En pénalisant les départs anticipés sans distinction de motif, cette réforme risque d'aggraver les inégalités de pension issues de ces parcours différenciés.
L'hypothèse de 45 ans de carrière complète, sur laquelle se base le système, s'avère statistiquement marginale pour les femmes : la durée moyenne de vie active des femmes est de 32,8 ans en Belgique, bien en-deçà des 45 ans requis pour une pension complète.
Les interruptions de carrière touchent diversement les travailleurs selon leur profil. Concernant les arrêts maladie, un peu plus de 10% des femmes développeront un cancer du sein au cours de leur vie, mais aucune donnée accessible ne permet d'évaluer la représentativité d'un arrêt d'un an. Pour 2022, 0,58% des femmes avaient développé un nouveau cas de cancer, un chiffre stable selon l'OCDE et l'organisation ThinkPink.
La réforme ne prévoit actuellement pas de modulation du malus pour ce type d'arrêt maladie, ce qui pourrait pénaliser doublement les personnes concernées.
Durant la crise sanitaire, le chômage temporaire a touché différemment hommes et femmes. Selon l'ONEM, les femmes ont représenté un peu plus de 40% des cas au plus fort de la crise COVID-19, alors que les hommes restent habituellement les plus touchés par ce régime.
La question est donc de savoir s’il faut appliquer le bonus-malus en fonction de l’année de départ à la retraite ou de l’année de naissance du bénéficiaire ? Cette distinction n’est pas anodine et a des conséquences concrètes sur les comportements individuels, l’équité intergénérationnelle et la soutenabilité financière du système.
Le système par année de départ présente l'avantage indéniable de la flexibilité. Il offre aux travailleurs une marge de manœuvre pour optimiser leur départ selon leur situation personnelle et garantit une équité temporelle puisque tous ceux qui partent à un moment donné subissent les mêmes règles. Cette approche permet également d'ajuster les incitations selon les besoins conjoncturels du marché du travail.
Cependant, ses inconvénients sont particulièrement pervers. L'effet d'aubaine créerait des ruées vers la sortie avant les durcissements, générant des déséquilibres budgétaires considérables. Plus problématique encore, ce système instaurerait une inégalité générationnelle par le simple hasard du calendrier, où certaines cohortes peuvent être avantagées sans justification objective. Enfin, les pics de départs peuvent compliquer la gestion des ressources humaines tant dans les entreprises que dans le système de retraite lui-même.
À l'inverse, le système par année de naissance offrirait une prévisibilité totale particulièrement appréciable. Chaque génération connaît ses règles dès le départ, facilitant considérablement la planification financière personnelle. Cette approche éliminerait les effets de seuil et les comportements opportunistes liés au calendrier, tout en répartissant l'effort de réforme de manière plus cohérente entre générations. La gestion des départs s'en trouverait naturellement fluidifiée par leur aspect fixe, et leur étalement dans le temps.
Néanmoins, cette rigidité constitue aussi sa principale faiblesse. L'absence totale de possibilité d'adaptation aux circonstances individuelles ou économiques pose déjà un problème d'équité fondamental. Plus troublant encore, deux personnes du même âge pourraient subir des malus différents selon leur simple mois de naissance, créant une forme de déterminisme social où le destin professionnel devient figé par la date de naissance. L'impossibilité d'ajuster les incitations selon les besoins conjoncturels du marché constituerait, par ailleurs, un handicap supplémentaire.
Il convient de souligner que ces mesures demeurent à ce stade des hypothèses de travail. Le cabinet du ministre insiste sur le fait qu'aucune décision définitive n'a été prise et que la version finale ne dépassera pas les limites fixées par l'accord de coalition. Des groupes de travail continuent d'évaluer l'impact de chaque scénario, notamment sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes.
Pour une réforme équitable, une modulation du malus intégrant les motifs d'interruption (maladie, chômage) et la nature des emplois (temps partiel subi) serait bienvenue, bien qu’elle complexifierait la lecture d’un système déjà peu compréhensible par les travailleurs. L'enjeu réside dans la construction d'un système qui ne pénaliserait pas davantage les vulnérabilités déjà présentes sur le marché du travail féminin belge. Fediplus préconise, en ce sens, le système de compte-pension imaginé par Jean Hindriks.