Face à la multiplication des dispositifs sociaux basés sur des conditions de revenus et aux vives réactions suscitées récemment par la réforme des droits d’inscription dans l’enseignement supérieur, l’économiste Philippe Defeyt a publié une note d’analyse approfondie appelant à une refonte cohérente, équitable et transparente des seuils de revenus utilisés par les pouvoirs publics.
Au départ d’échanges médiatiques et de témoignages citoyens, l’auteur pointe un problème central : l’effet de seuil, ce mécanisme selon lequel « 1 € de revenu en plus » peut faire perdre un avantage important, plongeant certains ménages dans des situations absurdes ou injustes. De plus, les revenus pris en compte sont souvent incomplets : une grande partie des revenus mobiliers (1,3 milliard seulement déclarés à l’IPP contre 35,3 milliards estimés au niveau macroéconomique), de nombreux revenus immobiliers (3,7 milliards déclarés alors que les loyers imputés atteignent 32,5 milliards), ou encore certains avantages en nature échappent aux évaluations.
L’analyse montre également que les dispositifs actuels négligent la taille réelle des ménages : par exemple, le statut BIM ne majore les plafonds que de 5 202 €/an par personne supplémentaire, soit à peine 0,19 unité de consommation, très loin des 0,3 (enfant de moins de 14 ans) à 0,5 (toute personne de 14 ans ou plus) recommandés par l’OCDE. Quant aux allocations familiales wallonnes, elles ne tiennent tout simplement pas compte de la composition du ménage : un système jugé « doublement inéquitable » par l’expert.
Pour remédier à ces incohérences, Philippe Defeyt propose quatre orientations fortes, financièrement rationnelles et socialement justes :
1. Prendre en compte tous les revenus, y compris les allocations familiales, certains avantages en nature et les revenus mobiliers jusque-là non déclarés.
2. Mieux intégrer la taille et la composition du ménage, avec une valorisation réaliste d’environ 6 400 € bruts/an par personne supplémentaire, sur base des budgets de référence.
3. Réduire les effets de seuils, via des barèmes plus progressifs, des avantages temporisés et une fiscalité plus lissée en bas de l’échelle des revenus.
4. Fluidifier l’actualisation des revenus, en utilisant des données en temps réel et en harmonisant les méthodes de calcul.
Ces propositions auraient un effet bénéfique sur le budget public : en prenant en compte tous les revenus, le nombre de bénéficiaires serait plus ciblé, tandis que les barèmes repensés garantiraient une aide plus cohérente et mieux distribuée. En parallèle, la cohérence interinstitutionnelle permettrait de simplifier l’administration, de réduire les coûts et de rendre les aides plus lisibles pour les citoyens.
Cette réflexion ouvre la voie à une politique sociale modernisée, équitable et budgétairement responsable. Une nécessité pour restaurer la confiance et assurer une utilisation optimale des ressources publiques.