Lors d’un dîner d’entreprise avec une comptable, celle-ci m’a confiée être surprise par la ténacité de certains préjugés sur les donations. Plusieurs de ses clients et clientes seniors continuent à penser qu’ils pourraient être expulsés de leur logement s’ils choisissent de le donner à leurs enfants. “Je ne comprends pas, explique-t-elle, ces personnes sont actives dans la vie professionnelle, plusieurs d‘entre elles dans l’immobilier, et celles-ci continuent à penser qu’une donation en nue-propriété les expose à une potentielle expulsion par leurs propres enfants.

C’est un préjugé tenace, qui s’explique par le biais d’ancrage, c’est-à-dire la tendance qu’a l’esprit humain à cheviller son jugement à la première information dont il a pu disposer (l'ancre), comme le soulignent les chercheurs Tversky and Kahneman dans leur article retentissant, publié en 1974 dans la revue Science. Ce type de biais transcende les classes sociales et les groupes, et requiert un profond travail d’autocritique. 

Abordons donc les bénéfices financiers de la donation en nue-propriété. Lorsqu’on planifie sa succession, il nous est rapidement conseillé d’envisager ce type de donation concernant les biens immobiliers. Contrairement à une succession, une donation en nue-propriété peut s’échelonner dans le temps : en effet, le fisc remet ses compteurs à zéro tous les trois ans. Attention : dans ce cas, les droits de donation sont calculés sur la valeur du bien, et non pas sur la valeur de la nue-propriété !

Ainsi, si Mme X., habitant à Bruxelles, souhaite transmettre son logis à son enfant, le mieux reste d’effectuer trois donations en nue-propriété de trois parts de la maison sur plusieurs années, comme indiqué sur ce graphique 

Source : Notaire.be

Les avantages de cette stratégie sont clairs :

  1. Mme. X réduit ces frais de plus de 40 000 euros, soit une réduction de près de 80%. Bien souvent, de tels droits de succession obligent les héritiers (ce qui est le cas de bien des Belges sans liquidités conséquentes et immédiatement disponibles) à vendre la maison pour laquelle le défunt a sué sang et eau, tout au long de sa vie.

  2. La planification financière. La fille de Mme X. peut répartir ces frais sur six années, une stratégie financière qui permet à de petits épargnants de planifier et d’intégrer ces frais à leurs budgets, et donc d’accéder à la propriété pour des impôts bien réduits !

A titre de comparaison, sachez que si la maison s’était trouvée en Wallonie, les droits de succession se seraient élevés à 53 025 € ; en Flandre, 49 200 €. Une petite économie en Flandre, mais une différence négligeable entre les deux premières régions en matière de droits de succession. Notons enfin que les droits de donation immobilière sont les mêmes dans les trois régions.

Très bien mais, m’objecte Mme X., si je me brouille avec ma fille, ne peut-elle pas m’expulser de la maison dont je lui ai transmis la nue-propriété? Ne peut-elle pas forcer la vente et dès lors m’expulser du bien ?”.

Pour faire simple, et tordre le cou à cette idée préconçue : non. Le nu-propriétaire ne peut pas vous expulser de votre bien, car vous en détenez encore l’usufruit selon les termes définis lors de votre donation. Votre usufruit est incessible.

Mais la fille de Mme X. peut-elle vendre sa nu-propriété ? C’est possible, mais cela n’entraîne pas une expulsion de votre bien : vous en êtes encore usufrutière. En effet, elle ne peut en vendre que la nu-propriété, et non pas l’usufruit. Vendre une nu-propriété est faisable, mais cela s’accompagne d’une décote importante du prix du bien : logique, puisque le ou nouvelle nu-propriétaire ne peut pas en jouir, ni l’utiliser. Lorsque Mme X. décèdera, l'usufruit s'éteindra automatiquement et la nu-propriétaire deviendra propriétaire à part entière. 

En conclusion, en tant qu’usufruitière, Mme X. pourra jouir de son bien ainsi que des bénéfices d’une location potentielle, sans en craindre une quelconque expulsion !

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