La pénibilité au travail est un concept complexe, dont la définition varie considérablement d’un pays à l’autre. Ces différences reflètent des approches culturelles, sociales et économiques distinctes, mais aussi des priorités politiques divergentes. La prise en charge des travailleurs exposés à des conditions difficiles reste un point de tension entre les syndicats et le gouvernement. Pourtant, d’autres pays sont parvenus à un accord sur les métiers pénibles. Quelles leçons peut-on tirer des définitions et des modes d’élaboration de la pénibilité dans d’autres pays ?
En Belgique, la pénibilité au travail est principalement définie à travers des critères médicaux et légaux. Le Fonds des maladies professionnelles (FMP) reconnaît certaines maladies et affections comme étant liées à des conditions de travail difficiles, mais cette approche reste réactive : elle intervient une fois que les dommages sont déjà constatés. Les facteurs de pénibilité pris en compte incluent l’exposition à des substances dangereuses, les troubles musculo-squelettiques et les accidents du travail. Seul le secteur public a défini une liste fournie d’emplois dits “pénibles”, parmi lesquels les contrôleurs aériens, les militaires, les cheminots, les policiers, les pompiers et ou encore les pilotes.
Cependant, la définition est jugée trop restrictive par de nombreux experts. Lengagne et Debrand, auteurs de l’article Pénibilité au travail et santé des seniors en Europe, soulignent que la pénibilité ne se limite pas aux seuls aspects physiques. Les dimensions psychologiques et sociales, comme le stress chronique ou les horaires décalés, sont souvent négligées. En Belgique, il convient de se poser la question : sommes-nous sujets à une vision étroite de la pénibilité, limitant la capacité à protéger les travailleurs, notamment les seniors, de manière proactive ?
En France, la définition de la pénibilité est plus large et plus structurée. La législation française reconnaît dix facteurs de pénibilité, regroupés en quatre catégories : contraintes physiques, environnement de travail dangereux, rythmes de travail et charges psychologiques. Cette approche multidimensionnelle permet de prendre en compte une variété de situations, allant du port de charges lourdes à l’exposition à des températures extrêmes, en passant par le travail de nuit ou le stress professionnel.
Annie Jolivet, auteure du rapport Pénibilité au travail : comparaisons internationales pour le Comité d’Orientation des Retraites (COR), souligne que cette définition a permis de mettre en place des dispositifs comme le compte professionnel de prévention (C2P), qui offre aux travailleurs des droits à la formation ou à un départ anticipé. Cependant, le rapport note que la complexité du système français peut parfois rendre son application difficile, notamment pour les petites entreprises, démunies face aux complexités administratives.
La Suède se distingue par une définition de la pénibilité centrée sur la prévention et le bien-être au travail. Plutôt que de se concentrer sur des critères spécifiques, la législation suédoise encourage une approche globale qui intègre tous les aspects de la santé au travail : physique, mental et social. Les employeurs sont tenus d’identifier et de réduire les risques professionnels dès le début de la carrière, en collaboration avec les syndicats et les représentants des travailleurs.
Jolivet met en avant le succès de cette approche, qui a permis de réduire significativement les maladies professionnelles et les accidents du travail. Pour les seniors, cette vision holistique se traduit par des aménagements de poste et des transitions douces vers la retraite. La Belgique pourrait s’inspirer de ce modèle pour adopter une définition plus proactive et inclusive de la pénibilité, qui incorpore des négociations entre partenaires sociaux.
En Allemagne, la définition de la pénibilité est pragmatique et adaptée aux spécificités sectorielles. Les critères de pénibilité varient en fonction des métiers et des industries, ce qui permet une prise en charge plus ciblée des risques. Par exemple, dans le secteur de la construction, l’accent est mis sur les troubles musculo-squelettiques et l’exposition aux intempéries, tandis que dans l’industrie chimique, ce sont les risques liés aux substances dangereuses qui sont prioritaires.
Le rapport du COR souligne que cette approche sectorielle est soutenue par un dialogue social fort, impliquant les employeurs, les syndicats et les pouvoirs publics. En Belgique, une telle collaboration pourrait permettre de mieux adapter les dispositifs de prévention et de compensation aux réalités des différents métiers.
Aux Pays-Bas, la pénibilité est définie à travers le prisme du bien-être au travail. La législation néerlandaise met l’accent sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi que sur la santé mentale. Les facteurs de pénibilité incluent non seulement les risques physiques, mais aussi les charges psychologiques, comme le stress chronique ou le harcèlement au travail.
Jolivet montre que cette approche a permis de réduire les cas de burn-out et d’améliorer la qualité de vie au travail. Pour les seniors, cela se traduit par des horaires flexibles, des possibilités de télétravail et des programmes de santé mentale. En Belgique, une telle vision pourrait aider à mieux prendre en compte les dimensions psychologiques de la pénibilité.
Face à ces différentes approches, la Belgique a tout à gagner à élargir et à moderniser sa définition de la pénibilité. Voici quelques pistes concrètes :
La pénibilité au travail ne peut être réduite à une liste étroite de critères médicaux ou légaux. Comme le montrent les exemples de la France, de la Suède, de l’Allemagne et des Pays-Bas, une définition large et inclusive est essentielle pour protéger les travailleurs, notamment les seniors, de manière efficace et proactive. La Belgique a l’opportunité de repenser sa vision de la pénibilité, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales.
Il est temps d’agir pour offrir à tous les travailleurs belges, jeunes et âgés, des conditions de travail dignes et respectueuses de leur santé. Parce que la pénibilité au travail ne doit plus être un tabou, mais une priorité collective.
Debrand Thierry, Lengagne Pascale. "Pénibilité au travail et santé des seniors en Europe". In : Economie et statistique, n°403-404, 2007. Santé, vieillissement et retraite en Europe. pp. 19-38. En ligne.
Jolivet Anne. "Pénibilité du travail et retraite : une comparaison internationale des dispositifs existants". Document de travail, Conseil d'Orientation des Retraites, Centre d'Etude de l'Emploi et du Travail (Ceet), Paris, Mars 2023, 86 p. En ligne.
Pour approfondir le sujet :
Collot Laurent, Hindriks Jean. "Soutenabilité sociale des pensions : compenser une pénibilité et longévité inégales". In : Regards Economiques, N° 183, Mars 2024, 8 p. En ligne.