Le dispositif de disponibilité précédant la pension de retraite (DPPR), censé permettre aux enseignants de finir leur carrière plus sereinement, se trouve aujourd’hui au cœur d’un imbroglio administratif et politique. Ce sas de sortie vacille sous le poids d’une importante réforme fédérale et d’un silence assourdissant autour des fameuses “dates P”. En ligne de mire : le montant des pensions, la santé mentale des enseignants, et une guerre feutrée entre niveaux de pouvoir.
Ce dispositif – un peu barbare dans son intitulé : Disponibilité pour convenances personnelles précédant la pension de retraite – permet, à partir de 58 ans et sous certaines conditions, de lever le pied en fin de carrière. Concrètement, un enseignant nommé à titre définitif peut choisir de réduire son temps de travail, voire d’arrêter complètement, tout en continuant à toucher un revenu, appelé "traitement d’attente", financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pour cela, il faut :
Il existe plusieurs types de DPPR, chacun avec des conditions spécifiques :
La durée maximale de la mise en disponibilité correspond au nombre de mois équivalents à votre nombre d’années complètes d’ancienneté de service (1 année complète d’ancienneté de service correspond à 1 mois de DPPR possible). Ce "pot DPPR" est multiplié par :
Cette formule n’offre pas un salaire plein, mais un montant partiel basé sur les dernières années de service. Il est calculé en fonction de son dernier salaire et de ses années de service, avec un plafond à 67,5 % du dernier traitement d’activité. En échange, elle donne un souffle bienvenu à celles et ceux qui n’ont plus l’énergie de continuer jusqu’à l’âge légal de la retraite.
Il est important de noter que la DPPR représente un coût pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment en raison de l'allongement des carrières imposé dans le cadre du régime de pension fédéral. En 2023, ce dispositif représentait un montant total de 77.83 millions d’euros, avec près de 50% des dépenses concentrées dans l’enseignement fondamental ordinaire. La Communauté flamande, qui disposait initialement d'un régime similaire, a déjà introduit une restriction importante de la DPPR, désormais limitée aux seules fonctions de l’enseignement maternel, considérées comme les plus pénibles. Ce régime flamand, appelé Terbeschikkingstelling wegens persoonlijke aangelegenheden voorafgaand aan het pensioen (TBSVP), n’est accessible que deux ans avant la première date possible de départ à la retraite
Mais pour en bénéficier, encore faut-il décrocher une date clé : la fameuse “date P”, délivrée par le Service fédéral des pensions. Cette date certifie qu’ils pourront bien partir à la retraite à l’issue de leur période de DPPR.
Or, depuis fin 2024, cette date n’est plus transmise. Les demandes restent sans réponse, les dossiers s’empilent, et l’incertitude s’installe. Résultat : des enseignants prêts à partir sont bloqués dans l’attente, et les directions d’école, elles, peinent à organiser la relève. Le sas de sortie est en train de se gripper.
À l’origine de ce blocage : un climat de flou politique inique généré par la réforme des pensions portée par le ministre N-VA Jan Jambon. Son objectif affiché : réduire le coût des régimes spéciaux et aligner progressivement les conditions du public sur celles du privé. Mais dans les faits, la stratégie semble s’attaquer frontalement à la DPPR. Le gel de la communication des dates "P" est justifié, côté fédéral, par l’attente d’un projet de réforme plus large… qui tarde à se concrétiser. On comprend mal en quoi une telle réforme, qui sera accompagnée de périodes de transition, justifie de maintenir ces travailleurs dans l’attente.
Dans cette réforme, un passage particulièrement explosif de l’accord Arizona prévoit de ne plus assimiler les périodes de DPPR au calcul des pensions, les excluant donc du décompte de la carrière et du montant final perçu. Une double peine, selon Roland Lahaye (CSC Enseignement), qui déplore que cela retarde le moment du départ à la retraite tout en diminuant la pension. Résultat : “Des enseignants épuisés renonceront à la DPPR… pour basculer dans l’invalidité ou les arrêts de longue durée”. Un phénomène qui n’est pas limité au monde des enseignants. Plusieurs études et rapports confirment un lien entre le relèvement de l'âge de la retraite et l'augmentation des maladies de longue durée en fin de carrière en Belgique. L'INAMI reconnaît que 60% de la hausse des invalidités provient des réformes des pensions depuis 2006, tandis qu’une recherche menée par le département d’économie appliquée de l’ULB fait valoir que reporter l'âge légal de la retraite augmente les risques de dépression (+31 à 50 points de pourcentage) et de maladies chroniques chez les travailleurs âgés.
Le plus troublant, c’est qu’une autre lecture de l’accord de gouvernement — défendue discrètement par le MR et Les Engagés — laisse la porte ouverte à une assimilation partielle de la DPPR (jusqu’à deux ans) dans le calcul des pensions. Mais pour l’instant, aucune décision officielle n’a été prise. Et Jan Jambon, interrogé à la Chambre, se contente de renvoyer à l’accord de gouvernement, sans préciser sa position (source : L’Echo, 24 mars 2025).
Cette ambiguïté fige le système. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la ministre-présidente Elisabeth Degryse (Les Engagés) et la ministre de l'Éducation Valérie Glatigny (MR) réclament en vain la levée du gel. Dans une lettre officielle, elles ont demandé que les 337 enseignants en attente d’une date P conservent leurs droits, même pour des départs postérieurs à 2026. À l’heure actuelle, le SFP n’a toujours pas répondu.
En toile de fond, une logique économique : en forçant les enseignants à retarder leur départ, le gouvernement entend réduire les dépenses en pensions tout en luttant contre la pénurie d’enseignants. Un double jeu qui n’échappe à personne. Car repousser les fins de carrière ne crée pas des vocations ex-nihilo. Et empêcher des enseignants épuisés de partir, c’est précipiter d’autres formes de rupture : absentéisme, maladies chroniques, désengagement, autant de petites crises qui perturbent l’enseignement et forcent les jeunes professeurs à jouer les bouche-trous, ce qui finit bien souvent par les pousser vers la sortie.